Fonte:
Crif – Conseil Représentatif des Institutions Juives de France – www.crif.org
Autore:
David Berliner
Sur les théories du complot
Le succès actuel des théories du complot, en cette période de crise économique et de repli nationaliste, est un phénomène inquiétant à observer avec l’oeil du sociologue ou de l’historien, un spectacle navrant pour l’humaniste. Au cœur du système de pensée conspirationniste se trouve le “juif”, désormais peu habilement dissimulé sous la figure du “sioniste”, un manipulateur prêt à tout pour dominer le monde (mais il y a aussi le franc-maçon, l’homosexuel, etc…).
Refusant de prendre en compte la complexité des situations historiques et sociales, lesdites théories se caractérisent par d’étranges causalités. Absolument rien, aucune preuve sociologique digne de ce nom, ne permettra de les étayer, si ce n’est par la force de la conviction de ceux qui croient au complot
Peu regardante des faits et en quête de boucs-émissaires, la pensée conspirationniste ne doute que dans ses propres limites. Elle arbore fièrement des notions de “preuve”, de “faits” et se présente comme une expertise historique. Sauf que celles-là même ne sont mobilisées qu’à travers la grille du complot (qui, elle, accepte la vérité et son contraire).
La plupart du temps, en guise de preuve, il suffit de citer quelques personnalités “juives/sionistes” ou décrites comme “sionisées”, prises çà et là (de manière non-statistique) dans les domaines des médias, de la finance et du politique. Ce qui me frappe le plus, c’est que les adeptes de cette croyance n’en connaissent souvent pas l’histoire longue et tragique, arguant à tout vent qu’ils ne sont pas antisémites (qu’ils ont des amis juifs…), mais le “complot sioniste”, ce vieux préjugé antisémite, fonctionne, pour eux, comme une catégorie a priori. Ici, ce n’est pas le régime de la causalité historique, ni la dénonciation d’aspects concrets et mesurables d’une politique nationale ou internationale, mais bien le royaume des associations entre des entités menaçantes inventées (par exemple, le “lobby”, la “mafia”) et les preuves imaginées de leur existence.
Il y a quelque chose d’éminemment religieux dans le fonctionnement de ces croyances magiques. Une pensée paranoïaque qui, toujours, blâme un autre manipulateur pour expliquer un malheur (comme c’est également le cas dans les accusations de sorcellerie dans bien des régions du monde). Une pensée qui, tout en réclamant une suspicion généralisée à l’égard des pensées, résiste au doute méthodique vis-à-vis d’elle-même. Une pensée qui résiste au temps: l’ancienneté des théories du complot judéo-maçonnique et leur transmission jusqu’à ce jour n’est plus à démontrer. Enfin, une pensée haineuse qui peut mener à la violence, l’histoire du nazisme et son obsession avec le complot juif en témoignent.
Aucun doute que les adeptes du conspirationnisme qui liraient ce texte n’y verront qu’une énième tentative “du système” destinée à masquer la réalité du complot. De mon côté, je traite avec la plus grande suspicion ces discours qui cherchent à dénoncer inégalités et manipulations en s’appuyant sur une rhétorique antisémite et homophobe moyenâgeuse. Est-ce cela le progrès de la pensée critique tant attendu?
Analysons et critiquons les politiques territoriales israéliennes tant que nous le souhaitons! Décortiquons et dénonçons les pratiques des multinationales de l’alimentation et des technologies de l’information! Indignons-nous des stratégies d’entreprises planétaires comme la FIFA!
Mais une fois dans le brouillard aveuglant des croyances au complot judéo-maçonnique-gay-sioniste, vous deviendrez immédiatement suspects à mes yeux… Ces théories ne sont rien d’autre qu’une erreur monstrueuse et un mensonge éhonté. Tout le contraire du savoir que nous nous évertuons à produire, avec humilité et patience, dans nos universités.