Fonte:
www.crif.org www.pressestelle.tu-berlin.de
Autore:
Polina Garaev, Monika Schwarz-Friesel
Antisémitisme 2.0: des discourse haineux plus répandus et plus radicaux
L’antisémitisme tisse sa toile dans tous les recoins d’Internet : sur les sites d’information, dans les commentaires des internautes, dans les posts des réseaux sociaux… et même sur les forums éducatifs destinés à aider les étudiants à faire leurs devoirs.
Le sentiment général selon lequel les propos antisémites se répandent comme une traînée de poudre sur le web est maintenant confirmé par une étude allemande publiée mercredi dernier au terme de quatre ans de recherches. Cette étude que l’on doit à l’Université technique de Berlin, a passé au peigne fin plus de 265.000 commentaires issus de plus de 66.000 sites internet. Il en ressort que les contenus antisémites sur les sites en allemand ont massivement augmenté.
En 2007, l’équipe de chercheurs dirigée par la linguiste Monika Schwarz-Friesel, a signalé que moins de 8% des publications revues par leurs soins étaient porteurs d’hostilité envers les Juifs et véhiculaient des stéréotypes antisémites. En 2017, ce pourcentage a atteint plus de 30%.
“L’augmentation que nous avons observée en ligne est un reflet de la réalité et de la recrudescence des attaques antisémites, des insultes, des menaces et des attentats”, avertit Monika Schwarz-Friesel.
En analysant la nature linguistique des propos antisémites en ligne, les chercheurs ont également observé une radicalisation nette des avis exprimés. Ces dernières années, les propos antisémites sur le web se sont normalisés et tout ce qui était auparavant timidement sous-entendu est aujourd’hui dit haut et fort, sans l’ombre d’un remords.
Trois types d’expressions antisémites ont été identifiés : l’antisémitisme classique, l’antisémitisme post-Holocauste et les propos contre Israël. Le premier, l’antisémitisme classique, est un reflet de vieux stéréotypes remontant au Moyen Âge. L’antisémitisme post-Holocauste accuse les Juifs de se servir de leur expérience de la Shoah pour promouvoir leur cause. Enfin, les propos contre Israël peuvent être interprétés comme étant antisémites s’ils expriment une “conceptualisation d’une opinion anti-juive classique”.
Durant les années de recherches, ce sont les stéréotypes classiques qui ont été les plus répandus : des Juifs représentés comme des monstres ou des insectes nuisibles, des mentions de la “Juiverie internationale” ou encore des rituels sanguinaires.
L’étude a également constaté que même les publications de solidarité et de soutien à la communauté juive en réponse à de violents incidents alimentaient la haine du Juif. Par exemple, lors de l’initiative “Berlin porte la kippa” en avril dernier, 37% des commentaires en réponse aux articles concernant la campagne étaient antisémites.
Les chercheurs ont souligné que l’étude n’avait pas pris en compte les sites internet extrémistes et les forums inaccessibles au grand public, prouvant ainsi que l’antisémitisme est un problème de société largement répandu. Les commentaires haineux ont été relevés sur Facebook, Twitter et YouTube ainsi que sur des sites internet d’actualité où les mots tels que “Israël”, “Juif”, “Moyen-Orient” et “Antisémite/antisémitisme” étaient utilisés.
Selon l’étude, il est quasiment impossible de ne pas voir ces messages que l’on retrouve même parfois à des endroits sans aucun rapport avec le sujet. Par ailleurs, le fait de pouvoir rester anonyme sur Internet permet à l’antisémitisme de se répandre à une échelle plus grande encore puisque les autorités et les responsables scolaires n’ont aucun moyen d’identifier les auteurs des posts haineux et de les punir.
“La plupart des jeunes apprennent ce qu’il se passe dans le monde grâce à Internet”, remarque Matthias J. Becker, linguiste et expert des discours haineux en ligne. “C’est pour ça que la manière dont on parle des groupes ethniques et religieux, des épisodes de l’Histoire et des concepts idéologiques sur Internet joue un rôle prépondérant dans la façon dont se forgent les opinions des générations futures”.
“Si un groupe ethnique est en permanence calomnié et exclu sur Internet, il y a de fortes chances pour que les individus se mettent à agir de la même manière dans le monde réel”.
Mais est-il possible de quantifier avec précision l’antisémitisme sur Internet ? Certains des journalistes qui ont procédé au passage en revue des résultats de la recherche se sont demandé si une étude qualitative sur l’antisémitisme pouvait réellement déterminer avec exactitude à quelle fréquence ces déclarations sont faites, alors que des centaines de milliers de commentaires haineux et de publications sur les réseaux sociaux sont postés quotidiennement.
“L’antisémitisme sur Internet est un mécanisme qui répond à des faits”, explique Becker. “Pour une année donnée, le nombre de propos ou commentaires antisémites peut dépendre, entre autres, d’une opération militaire à Gaza ou de l’intensité d’un discours sur le passé allemand et la culture de la commémoration”.
“Internet est un moyen de communication très complexe où des stéréotypes antisémites variés sont reproduits en réponse à différents événements. C’est cette complexité qui fait qu’il est difficile de déterminer à quel point l’antisémitisme 2.0 se développe. Mais il est en train de prendre de l’ampleur, cela ne fait aucun doute”.
Becker mène par ailleurs ses propres recherches concernant les commentaires en lien avec Israël sur The Guardian et Die Zeit – deux sites internet d’actualités politiquement orientés à gauche – respectivement britannique et allemand. Il a non seulement constaté une reproduction des stéréotypes, mais il a également remarqué que les lecteurs avaient tendance à rejeter sur Israël leur propre culpabilité pour les injustices commises par leur pays au cours de l’Histoire. Ainsi, en Allemagne, des comparaisons ont été faites entre Israël et l’Allemagne nazie. Au Royaume-Uni, les lecteurs du journal en ligne ont établi un parallèle entre “l’occupation israélienne” et l’empire britannique.
“Cependant, quand ces études qui démontrent l’étendue de l’antisémitisme moderne en Allemagne sont publiées, le public relativise ou refuse de croire aux résultats”, déplore Becker. Il arrive que l’on identifie les attitudes les plus assumées comme étant importées par les migrants en provenance de pays arabes, mais cette idée est souvent balayée.
“Mais, alors que cette nouvelle étude se concentre sur l’antisémitisme dans la société allemande en général, la projection confortable de l’antisémitisme dans les milieux musulmans n’y a pas sa place” a-t-il souligné. “C’est pour cette raison que cette étude donne beaucoup plus matière à réfléchir. Par ailleurs, elle montre qu’au sujet de l’idéologie de la haine de l’autre, certains pans d’Internet sont désormais devenus incontrôlables”.