Fonte:
Crif – Conseil Représentatif des Institutions Juives de France – www.crif.org
Autore:
Michel Goldberg
L’antisémitisme: une opinion comme les autres?
Dans certains milieux culturels, l’antisémitisme et son avatar négationniste sont devenus des opinions comme les autres, et qui méritent de pouvoir s’exprimer en toute liberté dans l’espace public. Cette digue de protection ayant sauté, on peut craindre que les suivantes ne sautent également, contre les Roms, les Musulmans, les Noirs, les intellectuels, les homosexuels, etc.
En 2013, l’antisémitisme s’est exprimé dans une pièce de théâtre à l’université de La Rochelle. Ce spectacle reprenait les stéréotypes les plus violents contre les Juifs pour nous expliquer les causes de notre débâcle économique actuelle. J’en ai parlé dans un livre L’antisémitisme en toute liberté (Le Bord de l’eau, 2014) où j’ai décrit la complaisance de l’université et diverses associations locales pour les responsables culturels qui avaient monté ce désastre culturel.
A l’époque, les observateurs les plus optimistes, habitués au calme de La Rochelle, cette ville tolérante et ouverte, parlaient d’un malheureux accident de parcours, ou encore de l’ignorance, de la bêtise ou de l’incompétence de quelques responsables culturels. Mais aujourd’hui, ces explications très bienveillantes ne tiennent plus. L’antisémitisme est bien devenu pour certains de ces “responsables” une opinion qui mérite, comme toutes les autres, de pouvoir s’exprimer sans la moindre contrainte. Certes, ces artistes ne sont pas nazis. Ils sont même convaincus de n’être pas antisémites. Simplement, ils trouvent que le combat pour défendre la liberté d’expression de cette idéologie meurtrière mérite que l’on y consacre des sites Internet et des soirées culturelles.
Ces intellectuels ont au moins une qualité qui ne leur sera pas contestée : la constance. Tout d’abord, ils ont produit la première pièce de théâtre antisémite de toute l’histoire de l’université, même en comptant la période nazie. Et un an plus tard, le Centre Intermondes de La Rochelle et le théâtre, « Toujours à l’horizon », qui avaient créé cette catastrophe, ont à nouveau invité Eric Noël, l’auteur canadien qui avait animé l’atelier d’écriture. Le maire de La Rochelle a exprimé sa surprise devant le retour de cet auteur, et nos “responsables culturels”, courageux, mais pas trop, ont renoncé in extremis à leur projet.
Puis, en septembre 2014, ils ont organisé dans le plus beau centre culturel de La Rochelle une soirée sur le thème de la censure qui sentait fort le règlement de compte. Ils se sont alors lamentés contre une censure dont ils se disaient victimes à La Rochelle. Ils avaient pourtant joué leur pièce autant de fois qu’ils l’avaient voulu, et ils peuvent encore la jouer s’ils y sont tant attachés. Le théâtre de la Main d’Or leur réservera peut-être bon accueil. Au cours d’une allocution sérieuse, un Professeur de théâtre s’est longuement plaint des atteintes à la liberté d’expression de “l’humoriste” Dieudonné, et notamment de l’interdiction de ses quenelles, tandis qu’un Professeur de l’université de La Rochelle condamnait les atteintes à la liberté académique contre “l’historien” négationniste Robert Faurisson. L’assistance, qui regroupait une bonne partie du milieu culturel subventionné de La Rochelle, applaudissait chacune de ces interventions. Et lors de la discussion qui a suivi ces discours, ils n’ont rien trouvé à redire, dans une belle unanimité qui évoquait un congrès du PC d’Albanie plutôt qu’un lieu de débat.
Puis, quelques jours plus tard, la Présidente du théâtre a justifié les propos tenus lors de cette soirée en prenant appui sur le procès que Dieudonné avait gagné contre la ville de La Rochelle après que son spectacle eut été annulé en 2011. Erreur et précipitation de cette dame, car c’est la ville qui a gagné ce procès en appel tout récemment. Et dans le même temps, le Professeur qui plaidait pour la libre expression de Dieudonné voulait entreprendre contre moi un procès… pour avoir rapporté les propos qu’il avait tenus ce soir-là.
Dans cette affaire qui révèle la déliquescence de certains milieux culturels, on observe que des valeurs essentielles et des vérités historiques ont complètement été inversées. Dans leur pièce de théâtre, ce ne sont plus les enfants juifs que les nazis assassinent : ce sont les Juifs qui mettent les enfants des autres en esclavage. Ce ne sont plus les nazis qui exterminent. Ils sont symbolisés dans la pièce par un pauvre cuisinier plutôt sympathique poursuivi par des Juifs hargneux, cupides et revanchards. Ce ne sont plus les Juifs qui sont les victimes de la Rumeur d’Orléans. Et lorsque le Président du Centre Intermondes évoque la Rumeur d’Orléans, c’est pour m’accuser d’en avoir créé une nouvelle à La Rochelle, dans laquelle les victimes seraient les comédiens…
Le Conseil d’administration de l’université de La Rochelle a considéré que toute parole doit pouvoir s’exprimer librement à l’université, y compris les propos de la pièce. Et dans le même temps, il a condamné la diffusion à l’université d’un communiqué très modéré des cultes religieux qui demandait que cette pièce antisémite ne soit pas exportée au Canada (comme l’université entendait le faire). La laïcité, censée être au service du vivre ensemble, s’est donc travestie en combat pour censurer les cultes et défendre l’expression de l’idéologie antisémite. Et ce Conseil d’administration, si prompt à défendre la liberté d’expression, a refusé de m’entendre chaque fois qu’il a délibéré au sujet de cette pièce de théâtre, se contentant de rapports largement biaisés.
Je n’aurais pas imaginé, il y a seulement deux ans, qu’il me faudrait rappeler que le combat contre l’antisémitisme mérite la même attention que d’autres combats pour la dignité des Roms, des Noirs, des musulmans ou des homosexuels. En particulier, il appartient aux pouvoirs publics d’être vigilants et d’entreprendre un travail de prévention, d’éducation et de sanction qui ne peut être laissé aux seules victimes potentielles de ces idéologies.
L’université n’a pas vocation à faire apprendre par ses étudiants des discours qui reprennent la violence de la propagande nazie. Ses responsables ne peuvent pas non plus laisser impunément se déverser des insultes et des injures à l’encontre d’un enseignant-chercheur qui a voulu alerter son institution contre des dérives antisémites. Les Centres culturels n’ont pas à être subventionnés pour défendre la liberté de parole des antisémites et des négationnistes. Un tel dévoiement de leurs missions constitue une menace réelle et imminente lorsque de grandes salles de spectacle de France ouvrent leurs portes à Dieudonné.
Lorsque l’on frappe ou que l’on tue un enfant parce qu’il est juif, lorsque lorsque l’on vole et lorsque
l’on viole, ou que l’on torture à mort, ou, lorsque l’on vole et que l’on tue des gens simplement parce qu’ils sont juifs ou parce qu’ils visitent un musée juif, c’est qu’il est grand temps de réfléchir et d’agir pour combattre ce fléau plutôt que de le laisser s’exprimer en toute liberté.
Michel Goldberg
Biochimiste, enseignant-chercheur à l’université de La Rochelle. Ses recherches poortent sur l’analyse du discours en ingénierie et en sciences. Auteur du livre “L’antisémitisme en toute liberté”.