Fonte:
Le Monde
Autore:
Soren Seelow
A Paris, Dieudonné rejoue une version de son spectacle tout en sous-entendus
Les propos les plus controversés sur les juifs et la Shoah ont disparu
C’est l’affluence des grands soirs, le salon subversif où il fautétre, le spectacle « collector » : la première représentation du nouveau numéro d’équilibriste de Dieudonné, Asu Zoa. Le polémiste a renoncé, samedi 11 janvier, à jouer son spectacle précédent, Le Mur, après les décisions du Conseil d’Etat confirmant l’interdiction des premières représentations de la tournée, à Nantes et à Tours.
Dieudonné M’bala M’bala était accusé par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, de proférer dans ce spectacle des propos racistes et antisémites, et par là méme de représenter une menace de trouble à l’ordre public liée à « l’émotion cause par l’atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ».
A Paris, après avoir interdit plusieurs représentations du Mur, la préfecture de police a finalement autorisé la nouvelle création de l’humoriste, lundi au théàtre de la Main d’Or, tout en précisant quelle surveillerait si des propos « tombant sous le coup de la loi venaient à étre tenus ».
Présenté comme un « nouveau spectacle » écrit en « trois nuits » et traitant de l’Afrique, Asu Zoa est en réalité une version édulcorée du Mur, tout en sous-entendus,expurgée des saillies les plus controversées sur les juifs et la Shoah.
Fans historiques ou de la dernière heure, unis dans un méme plaisir à braver l’interdit, se pressent dans le passage de la Main d’Or. Sur le trottoir d’en face, les télévisions nationales immortalisent des scènes de file d’attente. « On va recevoir des courriels demain, va y avoir une montée du chómage en France », lance, goguenard, un jeune homme dans la queue. « Tu as vu, intervient un autre, il y en a déjà qui disent que le titre Asu Zoa fait référence aux juifs? »
« Asuzoa » signifie « le visage de l’éléphant » en ewondo, une langue du Cameroun dont est originaire le père de Dieudonné. Mais certains sites, comme le webmagazine juif Alliance, rompus au double langage de l’humoriste, y ont lu l’anagramme de USA ZOA, acronyme de Zionist Organization of America, la plus ancienne organisation pro-israélienne aux EtatsUnis. «La théorie du complot, elle est des deux cótés », tranche un troisième spectateur.
Dans l’enceinte du théàtre, l’excitation monte d’un cran. Un jeune homme crie au téléphone: «J’y suis, j’y suis!» Un autre n’a pas été assez rapide pour préréserver sur Internet. Il a fait une heure de queue pour acheter des DVD et « lui donner de l’oseille », avant de se faire refouler par un videur peu compréhensif. Il y a méme Elisabeth Lévy, directrice de la rédaction du magazine Causeur, poussée par la curiosité, qui parvient —après avoir échangé des vues avec un spectateur sur la mémoire de la Shoah— à contourner la file d’attente escortée par un videur. «Privilège!», lance un moqueur.
En entrant dans la salle, le public siffle un air, spontanément, celui du Chant des partisans, dont Dieudonné a revisité les paroles pour adresser une « quenelle » à Francois Hollande.
«Dieudo, Dieudo!» Il est là, sur scène. La salle gronde. Le début du spectacle reprend fidèlement la trame du Mur, jusqu’à ce premier acte d’autocensure : « Niveau president je me suis arrété à, heu… j’aimais bien la casquette. » La référence explicite au maréchal Pétain a disparu. Tout fonctionne sur l’autocitation, le ressort comique préféré de Dieudonné, à l’origine de cette connivence si particulière établie au fil des années avec son public.
Ses spectateurs ont lu entre les lignes. Asu Zoa, c’est Le Mur en creux, inattaquable. La chanson Shoananas, qui scandait son précédent spectacle, est traduite par ses soins en Fresh ananas. On n’interdit pas les non-dits. Le sketch sur Manuel Valls prenant ses ordres chez le président de la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme, lui, a été conservé.
« Attention, il y a des su jets, tu vas te faire traiter d’antisémite», lance le showman. La salle est aux anges. Et de poursuivre, plus sérieux: «Alors déjà, je ne suis pas antisémite, et personne dans cette salle n’est antisémite. Parce qu’on n’a pas envie, on n’a pas le temps. » Applaudissements nourris.
Et Dieudonné de poursuivre sur le thème qui traverse tous ses spectacles et constitue le plus petit dénominateur commun de son public hétéroclite: «J’ai toujours été con tre ces lois mémorielles, ça, je ne reviendrai pas dessus. La compétition victimaire ‘J’ai plus souffert, j’ai plus souffert”. » Plus besoin de sous-titres: le mot « Shoah » a disparu du spectacle. Dieudonné évoque bien Patrick Cohen, le journaliste de France Inter à qui il avait souhaité les «chambres à gaz», mais cette sortie laisse place à un «Je m’en fous» désabusé.
Ses sketches s’enchainent, souvent dróles, critiques virulentes et acides de l’exploitation des tirailleurs sénégalais envoyés en première ligne pendant la seconde guerre mondiale, du racisme «toléré» des Béké aux Antilles, de la société de consommation, de l’enseignement de l’histoire à l’école, des médias, du manage pour tous…
Le spectre du thème interdit plane sur tout le spectacle. Et à la place de Shoananas, en guise de « petite chanson de sortie, pas méchante, pas antisémite », il fait entonner à ses spectateurs: «Francois la senstu, qui se glisse dans ton cul, la quenelleuu », sur l’air du Chant des partisans. Le public la connaissait déjà