Fonte:
http://www.crif.org/fr
Autore:
Pierre-André Taguieff
Présentation et bonnes feuilles du dernier ouvrage de Pierre-André Taguieff: “Hitler, les protocols des sages de Sion et Mein Kampf”
Le philosophe, politiste et historien des idées Pierre-André Taguieff publie en septembre 2020, aux PUF, un essai impressionnant, Hitler, les Protocoles des Sages de Sion et Mein Kampf. Antisémitisme apocalyptique et conspirationnisme. Avec l’aimable autorisation de son auteur, le Crif reproduit ici le résumé de l’ouvrage ainsi que quelques bonnes feuilles.
Ce que nous devons à Pierre-André Taguieff est considérable. Considérable pour mesurer, analyser, contextualiser et mettre en perspective historique des phénomènes complexes et évolutifs : le racisme, la judéophobie, l’antiracisme, le nationalisme, les populismes, les formes nouvelles du totalitarisme… Le directeur de recherche au CNRS maîtrise les sujets, il possède les clés que sont le savoir et la rigueur scientifique. Il y ajoute toutes les analyses possibles et pertinentes, pour nous faire comprendre les tourments de notre monde, les peurs, l’irrationnalité, la violence, le fanatisme, les tentations extrémistes, les théories du complot. Taguieff jette aussi un regard lucide sur les événements de notre histoire et les dérives du monde contemporain. Ce faisant, Taguieff est une vigie essentielle. Parce qu’il prévient, alerte et que son regard quelquefois incisif porte sur les lâchetés et les incohérences de notre temps. S’il existe de nombreuses études sur les Protocoles des Sages de Sion, Taguieff a pu entreprendre pendant des décennies un travail exceptionnel, sans équivalent dans le monde, de démystification et d’analyse des Protocoles. Taguieff poursuit ici cette tâche, avec rigueur, méticulosité et sérieux.
Marc Knobel
Résumé de l’ouvrage, proposé par Pierre-André Taguieff
Lorsqu’il découvre les Protocoles, dans les mois qui suivent la première traduction allemande du faux, parue à la mi-janvier 1920, Hitler ne doute pas qu’il s’agisse d’un texte révélant le programme secret des hauts dirigeants juifs qui, experts en manipulations les plus diverses, visent à devenir les maîtres du monde. Sa lecture du faux lui donne un modèle d’interprétation de la révolution bolchevique, qu’il attribue, à l’instar des antisémites russes et germano-baltes installés à Munich, aux Juifs. À partir du printemps 1920, il intègre dans sa vision antijuive du monde le mythe répulsif du « bolchevisme juif » à la conquête du monde, qui s’ajoute à la représentation du Juif comme maître de la finance internationale. Si ce remaniement de sa « doctrine » s’est opéré sous l’influence de Dietrich Eckart et d’Alfred Rosenberg, il doit aussi beaucoup à sa lecture des Protocoles et des textes dérivés de ce faux, tel Le Juif international, recueil d’articles antijuifs attribués (faussement) à Henry Ford, dont Theodor Fritsch, « le vieux maître de l’antisémitisme allemand » (Hitler), a publié une traduction allemande en 1921 (t. I) et 1922 (t. II).
Les dix-huit lignes consacrées, dans le premier tome (1925) de Mein Kampf, aux Protocoles des Sages de Sion, le plus célèbre faux de l’histoire européenne, constituent un résumé des arguments fallacieux avancés par les défenseurs de l’authenticité du document contre ceux qui, à partir de l’été 1921, avaient établi qu’il s’agissait d’un texte fabriqué sur la base de divers plagiats, le principal texte plagié étant le pamphlet de Maurice Joly publié en 1864, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu. Les partisans de l’authenticité des Protocoles voyaient dans le document un précieux dévoilement de l’« esprit juif » et des stratégies par lesquelles les Juifs étaient en train de réaliser leur objectif final : la domination du monde.
Pour Hitler, lire les Protocoles, c’est apprendre à connaître les Juifs, comprendre les buts qu’ils poursuivent ainsi que leurs stratégies et leurs tactiques. C’est aussi expliquer la marche du monde par ses causes cachées, à savoir les complots fomentés par les Juifs depuis les débuts de l’histoire. Les lire, c’est enfin se protéger contre « le Juif », voire commencer à gagner le combat contre l’ennemi absolu, « l’image du diable », en se montrant capable de démonter ses mensonges et de déjouer ses manœuvres. À la suite de Henry Ford, qu’il admire, Hitler accorde ainsi une importance décisive au document : « Le jour où il sera devenu le livre de chevet d’un peuple, le péril juif pourra être considéré comme conjuré. »
Jusqu’en 1939, les Protocoles seront utilisés par les services de propagande du Troisième Reich, en particulier par le Welt-Dienst (« Service mondial »). Mais les thèmes conspirationnistes empruntés au faux auront structuré définitivement, dès le moment de sa formation, l’idéologie nazie, en faisant de son manichéisme une orthodoxie. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la propagande nazie va se centrer sur l’idée-force du combat final contre l’ennemi absolu, « le Juif », dont l’élimination est présentée comme une action dotée d’une valeur rédemptrice. L’alternative indépassable « eux ou nous » se traduit par ce credo de facture messianique et millénariste : l’anéantissement des Juifs est le salut des « Aryens ». Machine à diaboliser les Juifs, les Protocoles, à travers les usages qu’en ont fait les propagandistes nazis sous l’impulsion d’Hitler et de Rosenberg, auront bien joué le rôle d’un « permis de génocide ».