Fonte:
www.crif.org
Autore:
Myriam Quemener
Revue Annuelle du CRIF 2020 – Pour une lutte renforcée contre l’antisémitisme et le racisme sur Internet
Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.
L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.
Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.
Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).
Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !
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Pour une lutte renforcée contre l’antisémitisme et le racisme sur internet, par Myriam Quemener
La lutte contre le racisme et l’antisémitisme est une priorité de politique publique et par voie de conséquence pénale qui doit sans cesse être réaffirmée surtout dans une période où par exemple la France est traversée de mouvements sociaux divers qui intensifient réactions violentes et intempestives.
Le racisme et l’antisémitisme ne se manifeste pas seulement dans l’espace public, les lieux de culte, mais aussi de plus en plus sur les réseaux sociaux et les forums de discussion. Ils se traduisent par des injures, des intimidations, des coups, des discriminations. Des élèves doivent quitter leur école en raison de leur religion. Le cadre actuel répond imparfaitement aux défis posés par les millions de contenus publiés chaque jour via les réseaux sociaux.
La loi de 1881 sur la presse est parfois complexe à manier (1) face au numérique et à l’internationalisation des acteurs même si elle conserve toute sa pertinence comme en témoigne des exemples jurisprudentiels récents. En outre cette lutte s’accompagne par un plan gouvernemental et des projets d’évolution législative.
L’arsenal juridique actuel face à la haine et l’antisémitisme
La loi sur la presse du 29 juillet 1881 sanctionne, la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale (art.24, al.7, L.29 juillet 1881), la diffamation et l’injure publiques et non publiques qui sont aggravées lorsqu’elles sont motivées par un mobile raciste.
En outre la plupart des infractions contre les personnes ou contre les biens sont aggravées dès lors que le mobile est raciste. La Cour de cassation, par arrêt du 15 octobre 20192, a précisé dans une affaire de livre associant les juifs à des escrocs (3) qu’il est possible de retenir non seulement la diffamation aggravée mais aussi la provocation à la haine, à la discrimination et à la violence ces deux délits n’étant pas incompatibles entre eux car ils visent des intérêts distincts. Cette position serait transposable à un cas en ligne.
Un plan gouvernemental à renouveler
Un plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme en cours depuis 2018 jusqu’en 2020(4) complète et prolonge les actions déjà entreprises dans les domaines de la lutte contre les discriminations et de la prévention de la radicalisation.
Piloté par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (5) (DILCRAH), il mobilise l’ensemble des ministères pour lutter contre la haine sur internet, éduquer contre les préjugés et les stéréotypes ; mieux accompagner les victimes ; investir de nouveaux champs de mobilisation. Il bénéficie de moyens sanctuarisés. Si ces fléaux reposent tous sur la haine, ils ont cependant des spécificités qu’il convient de prendre en compte, notamment grâce à un renforcement des échanges avec les associations (6) afin de mieux cerner les enjeux et les défis spécifiques par exemple en matière de lutte contre l’antisémitisme.
Une législation à parfaire
Une proposition de loi sur la régulation des réseaux sociaux portée par Laetitia Avia intitulée « loi contre la haine sur internet », s’inspire de la loi allemande (7) NetzDG imposant de lourdes sanctions financières aux réseaux sociaux qui ne retirent pas les contenus illicites signalés.
La proposition de loi a été votée à l’Assemblée Nationale le 9 juillet 2019. Ce texte fait l’objet de critiques notamment sur l’appréciation du caractère illicite des contenus haineux qui ne peut être confiée aux seuls opérateurs de plateformes, au risque d’induire une privatisation des fonctions judiciaire. La lutte contre la haine sur Internet est devenue une préoccupation majeure et il a même été évoqué par la député Laetitia Avia la mise en place d’un parquet spécialisé numérique. En tout état de cause il faut obligatoirement former les magistrats et les services d’enquête.
Les préconisations
La distinction entre le régime juridique de l’éditeur, qui engage sa responsabilité civile et pénale à raison des contenus qu’il publie, et celui de l’hébergeur, qui n’est tenu responsable d’un contenu illicite que dans des conditions très limitées, n’est plus adaptée à l’ampleur de la problématique de la haine sur Internet. Plusieurs pistes de travail issues du plan gouvernemental apparaissent pertinentes :
Obliger les plateformes hébergeant des contenus destinés au public français, au-delà d’un certain nombre d’utilisateurs, à disposer d’une représentation juridique en France.
Renforcer l’accessibilité des outils pour signaler en ligne tout type de contenu illicite.
Imposer la fermeture des comptes ayant diffusé de manière massive et répétée des contenus illicites.
Renforcer les moyens de la plate-forme PHAROS.
Développer une stratégie de « co-régulation » des contenus illicites en ligne avec certification des acteurs associatifs, en lien avec les plate-formes, pour renforcer l’efficacité des signalements.
Renforcer la coopération public/privé et les structures de traitement des signalements.
Développer les travaux d’intérêt général dans les associations œuvrant dans ce domaine.
Suite au rapport de la CNIL en date du 15 décembre 2017 (8), une réflexion éthique sur les risques provoqués par les algorithmes s’impose.
Il faut trouver un équilibre entre la régulation par la responsabilisation et la protection de la liberté d’expression, tout en maintenant la place essentielle du juge, protecteur des libertés individuelles. La lutte contre les propos haineux n’est pas qu’une affaire de régulation et nécessite aussi une politique publique ambitieuse de prévention et de sensibilisation aux règles du respect en ligne avec des moyens concrets mis à la disposition de toutes les personnes en charge d’espaces numériques.
- Un arsenal judiciaire de lutte contre le racisme et l’antisémitisme – Anne Portmann – 21 mai 2015
- Cour de cassation, crim.n° 18-85.366
- Diffamation raciale : association sur une couverture de livre des mots « juifs » et « escrocs » – Cour de cassation, crim. 15 octobre 2019 – D. 2019. 1993.
- Plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme (2018-2020) – Thibault Douville – Farah Safi – D. 2018. 1248.
- https://www.dilcrah.fr/le-plan-national-de-lutte-contre-le-racisme-et-la…
- Comme notamment le Crif : http://www.crif.org/fr
- 7.https://www.bmjv.de/SharedDocs/Gesetzgebungsverfahren/Dokumente/NetzDG_e…
- https://www.cnil.fr/fr/comment-permettre-lhomme-de-garder-la-main-rappor…