Fonte:
Le Monde
Autore:
Simon Piel
Comment un geste est devenu un signe de ralliement antisémite
Décryptage
Elle s’est popularisée sur la Toile, puis s’est invitée sur les plateaux de télévision avant de devenir un geste politique. Provocation anti-système pour les uns, gestuelle antisémite pour d’autres, la « quenelle » garde une signification très floue. Un flou dont abuse l’humoriste Dieudonné M’bala M’bala, qui en a fait un symbole politi-que des causes qu’il défend.
Quest-ce qu’une «quenelle»?
Le geste de la « quenelle » consiste à tendre un bras vers le bas tout en placant la main opposée sur l’épaule du bras tendu. Entre le salut nazi inversé et le bras d’honneur. S’il est difficile de dater les origines exactes de la « quenelle », sa première utilisation politique remonte aux élections européennes de 2009. Dieudonné Mbala M’bala avait déposé une «liste antisioniste» en Ile-de-France. Il avait alors expliqué sa démarche lors d’une conférence de presse au Théàtre de la Main d’Or, à Paris: «Glisser une petite quenelle dans le fond du fion du sionisme. » Sur l’affiche de campagne, où il pose avec l’idéologue d’extréme droite Alain Soral, Dieudonné M’bala M’bala effectue le geste de la « quenelle ».
Que signifie-t-elle?
Plus large-ment, l’ancien humoriste définit la « quenelle » comme un « symbole d’insoumission au système». Dans une vidéo postée sur YouTube, Dieudonné M’bala M’bala explique qu’il s’agit d’un acte sub-versif qui ne lui appartient plus. «II appartient à la revolution », dit – il. Une définition large, fourretout, qui a depuis fait des émules, rassemblant les provocateurs de tous poils qui souhaitent pour beaucoup dénoncer par ce geste le «système », un terme qui regroupe aussi bien les élites politiques, économiques ou médiatiques. «La “quenelle” est avant tout un code identitaire, qui a acquis une vraie popularité chez les jeunes. Difficile de dire que tous ont conscience de la portée de ce geste », expliquait au quotidien Libération le spécialiste de l’extrème droite Jean-Yves Camus. Il ajoutait que Dieudonné M’bala M’bala entrainait avec lui « une mouvance transversale, antisystème et complotiste, dont l’antisémitisme reste la colonne vertébrale. Leur vision du monde est celle d’un ordre mondial dominé par l’axe Washington- Tel-Aviv. Derrière les discours fustigeant l’OTAN et la finance internationale, tout en soutenant Bachar Al-Assad et Hugo Chavez, il y ala conviction qu’au fond, ce sont les juifs qui tirent les ficelles.»
Pourquoi une telle viralité?
Avec le temps, et à mesure que les sorties médiatiques de Dieudonné Mbala M’bala contribuaient à le marginaliser, la « quenelle » s’est répandue sur la Toile. A chaque fois, le geste, réalisé comme un défi, est immortalisé par une photo qui est ensuite postée sur Internet. De nombreux anonymes font circuler leurs clichés sur les réseaux sociaux. Certains en font méme des animations graphiques sur Tumblr et tentent de prendre la pose aux cótés de personnalités. D’autres s’amusent à «glisser une “quenelle” » sur les plateaux de télévision. Entre la blague potache, la provocation et la revendication politique floue. Le geste est teinté d’antisionisme, voire pour certains d’antisémitisme. Ainsi, Alain Soral s’est-il fait prendre en photo au Mémorial de la Shoah à Berlin. En septembre, des militaires en mission Vigipirate à Paris ont été photographiés devant une synagogue en train de faire une « quenelle », ce qui leur a valu une sanction.
Un business?
Outre un site officiel qui recense les photos des « meilleures “quenelles” », Dieudonné M’bala M’bala a lancé toute une série de produits dérivés, du tee-shirt au mug. Il a également lancé le concours des « “quenelles” d’or », qui récompense les « maitres quenelliers ». La dernière édition a eu lieu en juin. Alain Soral figurait parmi les grands vainqueurs.